« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 4 octobre 2011

Eloge du juge d'instruction : les Pieds Nickelés face à l'Etat de droit


Chaque jour apporte son scandale,  relayé par la presse sous forme de feuilleton. Des épouses divorcées "balancent" leur ancien mari, pour reprendre l'heureuse formule d'un ancien ministre de l'Intérieur, des proches du Président de la République sont auditionnés ou mis en examen, des magistrats enquêtent sur d'autres magistrats, des policiers arrêtent d'autres policiers.  On serait tenté de sourire à cette évocation de scénarios qui semblent directement inspirés des aventures des Pieds Nickelés.  


La réaction la plus fréquente, la plus présente dans les médias, la plus exploitée aussi dans la campagne électorale déjà engagée, est une certaine consternation, un sentiment de déliquescence, l'idée que la corruption atteint désormais le niveau le plus élevé de l'Etat. Bien sur, notre histoire récente, ou plus ancienne, a déjà connu des contrats d'armement accompagnés de rétrocommissions, des enveloppes ou des valises d'argent circulant pour financer quelque campagne électorale, des arrestations de policiers ripoux ou de politiciens corrompus. Le problème est que ces évènements, jadis exceptionnels, semblent aujourd'hui banalisés. Au moment précis où la crise financière peut devenir catastrophique, la classe politique apparaît davantage animée par l'instinct de prédation que par la recherche de l'intérêt général et le sens de l'Etat.





Cette analyse pessimiste, de nature politique, fait cependant écran à l'étude juridique du phénomène. On peut le regretter car, sur ce plan, on peut davantage se montrer optimiste, comme si l'Etat de droit, lorsqu'il se sent agressé, trouvait toujours les moyens de réagir. 

Souvenons nous qu'en janvier 2009 le Président de la République, s'appuyant sur le désastre de l'affaire d'Outreau, proposait une révision du Code pénal destinée à introduire dans notre pays un système judiciaire directement inspirée du droit américain. A la procédure inquisitoire mise en oeuvre par un juge d'instruction qui instruit à charge et à décharge aurait succédé une procédure accusatoire opposant un procureur aux avocats de la défense. C'était d'ailleurs le sens des préconisations du rapport Léger remis au Président de la République le 1er septembre 2009. Cette procédure, bien connue grâce aux séries américaines, avait évidemment la faveur des avocats auxquels elle offrait un rôle accru dans le procès pénal, avocats par ailleurs bien représentés au plus haut sommet de l'Etat. 

La réforme n'a cependant pas pu voir le jour, du fait de la résistance opiniâtre des magistrats, notamment d'un certain Renaud van Ruymbeke, qui publia alors dans le Journal du Dimanche un entretien dans lequel il dénonçait ce projet comme une "reprise en main par le pouvoir". 

Si l'on examine les "affaires" actuelles, on peut se demander si elles ne constituent pas l'illustration du caractère indispensable du juge d'instruction, magistrat indépendant, dont l'impartialité ne peut être suspectée. Ces deux éléments, indépendance et impartialité, sont des principes fondamentaux de notre procédure pénale, mais ils apparaissent encore plus nécessaires pour traiter de cette délinquance particulière des milieux politiques, économiques ou financiers. 

Supposons un instant, mais seulement un instant, que la réforme voulue par le Président de la République ait été votée, et que les juges d'instruction aient aujourd'hui disparu. Pense-t-on sérieusement qu'un procureur soumis à l'autorité du Garde des Sceaux aurait pu traiter d'affaires mettant en cause des proches du pouvoir en place ? Le simple exemple de l'affaire Woerth Bettencourt suffit à l'illustrer, puisque le procureur de Nanterre  s'est opposé durant plusieurs mois à la désignation d'un juge d'instruction, faisant même la sourde oreille  aux recommandations du procureur général près la Cour de cassation. C'est finalement le dépaysement de l'enquête à Bordeaux par la Cour de cassation elle-même qui a permis de relancer l'instruction.

Ce rôle du juge d'instruction n'est pas seulement positif pour l'accusation, il l'est aussi pour la défense. L'instruction qui se déroule à charge, mais aussi à décharge, permet aux avocats d'exercer les droits de la défense dans toute leur plénitude. Ils ont accès au dossier et peuvent contester les décisions prises, à toutes les étapes de l'instruction. 

On dira bien sûr que ces juges d'instruction, dont l'existence même a été menacée, ne sont pas fâchés aujourd'hui de mettre en examen ceux qui précisément souhaitaient leur disparition. Sans doute, mais le meilleur moyen de ne pas être mis en examen n'est-il pas, somme toute, de mener une politique tout entière tournée vers l'intérêt général...  une "République irréprochable" ?

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