« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 16 janvier 2012

Confiscation douanière et propriété

L'administration des Douanes a longtemps disposé de prérogatives très exorbitantes du droit commun, et une tendance engagée depuis quelques années vise à réintégrer son activité dans les principes généraux du droit et de la procédure pénale. La décision du Conseil constitutionnel rendue sur QPC le 13 janvier 2012 en est l'illustration, à propos des articles 374 et 376 du code des douanes. 

La récompense de requérants persévérants.

Les requérants, les consorts B., contestent des dispositions qui prévoient la confiscation des marchandises saisies pour fraude ou autre contravention douanière, sans que les propriétaires soient appelés devant un juge et sans qu'ils puissent exercer un recours. Les consorts B. se considèrent comme les légitimes propriétaires de tapisseries saisies en douane en 1977. Ils ont d'abord porté plainte pour vol et recel, mais la Cour de cassation, dans une décision du 2 octobre 2001, a définitivement mis fin à leur espoirs devant le juge judiciaire, en estimant que la confiscation opérée par les Douanes entrait dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par les articles litigieux du code des douanes, "à supposer même que le comportement de l'administration des douanes puisse constituer un abus dans l'exercice d'un droit susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative". Ainsi encouragés, les consorts B. se sont donc tournés vers le juge administratif pour engager la responsabilité pour faute de l'Etat. Le tribunal administratif de Paris leur a donné satisfaction en 2009, mais le ministre a fait appel devant la Cour administrative d'appel de Paris, et c'est devant elle qu'a été soulevée la présente QPC, transmise par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 17 octobre 2011.

Le Conseil constitutionnel censure finalement les dispositions contestées, sur le double fondement de la violation du droit au recours et de l'atteinte excessive au droit de propriété. 

La violation du droit au recours

L'article 374 du code des douanes permet la confiscation des marchandises, sans que leurs propriétaires soient mis en cause devant un juge. 

Les requérants pouvaient difficilement contester le principe même de la confiscation. L'article 131-21 du code pénal définit en effet comme peine complémentaire la confiscation de biens ayant servi à commettre une infraction ou qui en sont le produit. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 26 novembre 2010 a considéré ces dispositions comme conformes à la Constitution, dans la mesure où elles "ne sont pas manifestement disproportionnées par rapport à la gravité des infractions pour lesquelles elles sont applicables". La confiscation d'un véhicule dont le propriétaire a commis un grand excès de vitesse est désormais possible, dès lors que l'impératif de sécurité routière justifie la sévérité de la mesure. 

Si le principe de la confiscation n'est guère contesté, il n'en demeure pas moins que l'article 374 du code des douanes autorise le juge à prendre cette décision, sans même que le propriétaire du bien ait été appelé à comparaître, ce qui le prive du droit d'accès au juge et évidemment des droits de la défense. 

La Cour de cassation, confrontée à ce problème dans l'affaire Bowler International Unit du 7 juillet 2005 a balayé l'argument. A ses yeux, la confiscation a pour but l'indemnisation du Trésor pour le préjudice subi de l'infraction, et peu importe que le propriétaire des biens confisqués ait été reconnu de bonne foi, par exemple que ses marchandises aient été utilisées à son insu pour couvrir un trafic de stupéfiants. Il ne lui reste alors qu'à se retourner contre l'auteur de la fraude, à la condition qu'il soit encore solvable après la grosse amende à laquelle il est condamné.

Dans une décision du 23 juillet 2009, à propos de la même affaire, la Cour européenne a cependant adopté une toute autre position. Elle fait observer que les intérêts du Trésor public sont déjà pris en compte par la condamnation de l'auteur de la fraude à une forte amende. Compte tenu des risques d'insolvabilité de ce dernier, le recours indirect offert au propriétaire de bonne foi ne saurait donc être considéré comme "offrant une possibilité adéquate d'exposer sa cause devant les autorités compétentes". La Cour estime donc que le droit français viole le droit au recours garanti par la Convention européenne*. 

Le Conseil constitutionnel reprend finalement le raisonnement de la Cour européenne, en s'appuyant sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Pour le Conseil, l'article 374 du code des douanes doit être déclaré inconstitutionnel, car il prive le propriétaire du bien confisqué de son droit à un recours effectif, puisqu'il ne peut être entendu par un juge. En statuant ainsi, le Conseil prévient d'éventuelles décisions des juges du fond susceptibles de se fonder sur la jurisprudence de la Cour européenne et impose une intervention du législateur.

Rien à déclarer. Dany Boon. 2010. Philippe Magnan, Benoît Pelvoorde, Eric Godon

Le droit de propriété

L'article 376 du code des douanes énonce que "les objets saisis ou confisqués ne peuvent être revendiqués par les propriétaires". Le droit de propriété est alors directement mis en cause. On sait cependant que ce droit présente la caractéristique d'avoir une définition très absolutiste, qu'il figure dans deux articles de la Déclaration de 1789 (art. 2 et 17), qui le définissent comme un droit "naturel et imprescriptible". En revanche, son régime est contingent, et il peut donner à de multiples restrictions, à la condition toutefois que ces dernières soient proportionnées au but recherché par la législation. 

Tel n'est pas le cas en l'espèce, et le Conseil constitutionnel affirme nettement que l'article 376 du code des douanes porte au droit de propriété "une atteinte disproportionnée au but poursuivi". S'il est tout à fait légitime de responsabiliser les propriétaires de marchandises dans leur choix de transporteurs et de chercher une formule efficace de recouvrement des créances du Trésor public, il n'en demeure pas moins que cette confiscation est opérée "en toute hypothèse". C'est précisément ce point qui est source d'inconstitutionnalité, dès lors que le code des douanes n'opère aucune distinction entre le propriétaire de mauvaise foi et celui de bonne foi. 

Le législateur est donc invité à définir un régime juridique plus respectueux du propriétaire du bonne foi, et à lui offrir le droit au juge qui appartient à tous. Il a jusqu'au 1er janvier 2013 pour le faire, puisque le Conseil constitutionnel a accepté, dans une préoccupation de sécurité juridique, de repousser jusqu'à cette date l'abrogation des dispositions litigieuses. 





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