« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 16 février 2012

Le référendum, grandeur et décadence


"Chaque fois qu'il y aura blocage, je ferai trancher les Français", affirmait le Président de la République, en annonçant le 15 février 2012 sa candidature à un nouveau mandat. Et il nous présente comme un élément de son programme électoral le fait de "redonner la parole aux Français", ajoutant : "Il ne faut pas avoir peur de la parole du peuple". La formulation n'est guère éloignée de celle de Marine Le Pen qui crie au plagiat, ayant évoqué dès le début de sa campagne la mise en place d'une "République référendaire". 

Une telle profession de foi démocratique ne saurait déplaire à tous ceux qui considèrent qu'une décision prise par référendum est toujours dotée d'une légitimité particulière, puisqu'elle émane directement du peuple souverain. 

Quel "blocage" ?

En l'espèce, M. Sarkozy propose de consulter les Français "chaque fois qu'il y aura un blocage". A dire vrai, la notion de "blocage" est d'une totale obscurité sur le plan juridique. Il ne peut s'agir d'un blocage parlementaire, l'Exécutif ne parvenant pas à obtenir le vote d'une loi. En matière législative en effet, chacun sait qu'en cas de désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, c'est la première qui a finalement le dernier mot, après tentative de conciliation au sein d'une Commission mixte parlementaire. Le blocage parlementaire ne peut intervenir que lors d'une tentative de révision constitutionnelle, puisque, dans ce cas, le texte de la révision doit être "voté en termes identiques" par chacune des deux assemblées, avant précisément d'être soumis au Congrès, ou au référendum. Ce référendum constitutionnel, prévu par l'article 89 de la Constitution, intervient cependant après le vote en termes identiques et ne permet donc pas de passer outre le blocage parlementaire. 

S'il ne s'agit pas d'un blocage parlementaire, on doit en déduire qu'il s'agit d'un blocage sociétal, un clivage qui divise la population en profondeur. Si l'on en croit le Figaro, peu suspect de vouloir trahir la pensée présidentielle, monsieur Sarkozy propose d'organiser plusieurs référendum sur l'indemnisation du chômage, les prestations accordées aux demandeurs d'asile ou la compétence juridictionnelle en matière de contentieux des étrangers. On n'épiloguera pas sur l'intérêt que susciterait chez les Français une consultation leur demandant de choisir entre le juge des libertés et le tribunal administratif pour apprécier la légalité des reconduites à la frontière.. Vaste sujet, qui implique certainement un large débat de société. En revanche, le Président exclut tout référendum sur l'enseignement, préférant une "grande réforme" destinée à "augmenter fortement la présence des adultes dans l'école". 

On le voit, le "blocage" susceptible de justifier le recours au référendum n'est pas une notion juridique, mais le simple reflet de la volonté présidentielle. Ce n'est pas le blocage qui justifie le référendum. C'est la volonté de recourir au référendum qui va permettre de qualifier un débat comme source d'un blocage. 

On peut d'ailleurs s'interroger sur l'efficacité des consultations suggérées pour surmonter les "blocages" ainsi identifiés par le Président. Demander au peuple s'il est favorable à une réforme imposant aux chômeurs d'accepter la première offre qui leur est proposée risque de stigmatiser les demandeurs d'emploi, de les présenter comme coupables alors qu'ils sont les premières victimes de la crise. N'est-ce pas créer un nouveau "blocage" ?

Affiche du plébiscite. 2 décembre 1851


L'article 11

Sur le plan constitutionnel, le Président se fonde évidemment sur l'article 11 de la Constitution qui l'autorise "sur proposition du Gouvernement (..) ou sur proposition conjointe des deux Assemblées" à soumettre à référendum une réforme relative "à la politique économique, sociale de la nation et aux services publics qui y concourent (..)". Rien ne s'oppose à cette utilisation de l'article 11. On peut même se demander pourquoi le Président n'y a pas eu recours plus tôt pour consulter le peuple souverain sur des sujets qui ont provoqué de lourds clivages durant son premier quinquennat, comme la réforme territoriale ou la RGPP, réforme qui concrétise le choix de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux. 

Le référendum d'initiative partagée

La profession de foi du Président en faveur du référendum relève donc davantage de la "révélation"  que d'une réflexion engagée depuis de longues années. Si l'on envisage le quinquennat qui s'achève, on croit déceler au contraire un certain mépris à l'égard de cette procédure. C'est ainsi que la révision constitutionnelle de 2008 a prévu une nouvelle rédaction de l'article 11, permettant un référendum "organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales". Contrairement à ce qui a été affirmé, il ne s'agit pas  d'un référendum d'initiative populaire, mais d'une initiative parlementaire, l'aval du peuple n'étant qu'une condition supplémentaire de sa mise en oeuvre (1/10 du corps électoral représente environ 4 500 000 électeurs). En outre, le référendum n'a lieu que si le parlement n'a pas examiné préalablement la proposition. Malgré ces restrictions, ce nouveau référendum "d'initiative partagée" constitue l'instrument d'une expression de la minorité qui peut ainsi obtenir l'arbitrage du peuple sur ses propositions. Cette réforme ne répond-elle pas à la volonté du Président de la République de "redonner la parole aux Français" ?

Hélas, ce référendum d'initiative partagée est inappliqué, car la loi organique qui doit en assurer la mise en oeuvre n'est toujours pas votée. Le projet de loi a été déposé en décembre 2010, pour finalement parvenir en discussion en décembre 2011, soit trois années après la révision.  Il vient précisément d'être voté le 10 janvier 2012, ce qui signifie qu'il ne sera pas en vigueur avant la fin du quinquennat. Bonne illustration de l'intérêt porté par l'Exécutif à l'institution du référendum.


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