« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 15 mars 2012

Les hommes et les femmes sont belles

Le féminisme s'engage dans de nouveaux combats, dont l'importance n'échappera à personne. Une pétition exige aujourd'hui  l'adoption de la "règle de proximité", selon laquelle l'accord de l'adjectif ou du participe passé peut se faire avec le nom le plus proche, y compris s'il est féminin. On devra donc dire : "les hommes et les femmes sont belles" et non plus "les hommes et les femmes sont beaux". La règle phallocratique selon laquelle le masculin l'emporte sur le féminin doit donc disparaître. A l'appui de cette pétition, une grande manifestation était prévue le 6 mars 2012 devant l'Académie française pour "libérer la langue française des chaînes de la domination masculine".

Les mobilisations rhétoriques

Il appartient à chacun, pardon à chacune, de définir les combats dignes de son investissement et certaines associations féministes privilégient manifestement les questions terminologiques. De la première circulaire du 11 mars 1986 à la note du ministre de l'Education nationale du 6 mars 2000, pas moins de quatre textes se sont efforcés, à leur instigation, d'imposer la féminisation des noms de métiers, fonction, grade ou titre. Plus récemment, une circulaire du Premier ministre datée du 21 février 2012 est intervenue, à la suite d'autres pétitions des Chiennes de Garde et d'Osez le Féminisme,  pour supprimer le terme de "mademoiselle" des formulaires administratifs. A leurs yeux, il renvoie à une définition de la femme par rapport à un statut matrimonial considéré comme dévalorisant. Toutes les femmes devront donc s'appeler "madame" dans leurs relations avec l'administration, qu'elles le veuillent ou non. 

Le mouvement féministe a remporté là d'éclatantes victoires. Les gouvernements n'hésitent d'ailleurs jamais à accorder ces petites satisfactions, qui présentent l'avantage de masser l'ego des féministes sans que cela coûte rien. Une bénédiction en période de crise. 

Erro Gudmundur. Fuyez mes soeurs. 2012



Les derniers combats ?

Ces mobilisations terminologiques sont assez divertissantes et plutôt sans danger. Leur développement conduit cependant à s'interroger sur la fonction actuelle du mouvement féministe. L'égalité serait elle désormais une chose acquise, ne laissant aux militantes que quelques miettes de combats rhétoriques ? Nos grands mères se sont battues pour obtenir le droit de vote, nos mères pour la contraception puis l'IVG... et il ne resterait que la grammaire ? 

Il est vrai que, sans avoir besoin du secours des militantes féministes, les femmes investissent peu à peu les espaces traditionnellement masculins, la politique, l'Université, la magistrature, l'entreprise, l'armée etc.. Toutes les professions se féminisent, et même le fameux "plafond de verre" finit par céder, lentement mais irrémédiablement, sous le poids du nombre. Sur ce plan, la réussite est bien davantage le résultat d'une multitude de démarches individuelles plutôt que celui d'une action collective. 

Le mouvement féministe doit il pour autant se replier dans des actions purement symboliques ? N'y aurait il pas de nouveaux champs à explorer ? Nos associations féministes, solidement attachées aux traditions bobos de la Rive Gauche, n'ont elles pas envie de visiter d'autres territoires et de franchir la muraille de Philippe Auguste ? Savent elles qu'il y a dans notre pays des femmes réellement exploitées, ailleurs que dans les formulaires administratifs ? 

Où sont les féministes ?

Les territoires de l'obscurantisme doivent être explorés. Certaines femmes sont contraintes de porter le voile par une pression familiale qui porte une atteinte inadmissible à leur libre arbitre. Des fillettes sont vouées à l'excision, pratique considérée comme un traitement inhumain et dégradant par la Cour européenne des droits de l'homme. Des jeunes filles sont envoyées de force dans leur pays d'origine pour être mariées sans leur consentement. Toutes ces pratiques qui asservissent les femmes existent dans notre pays, et on ferme les yeux, au nom d'une certaine forme de communautarisme. Mais où sont passées les associations féministes ? 

Les territoires de l'inégalité sociale sont aussi un champ inépuisable de revendication féministe. Les caissières de supermarché payées au SMIC horaire avec des contrats à temps partiel sont abandonnées de tout le monde. Beaucoup d'autres femmes  sont cantonnées dans des emplois subalternes ou des tâches répétitives. Celles-là doivent acquérir des formations, se mettre à niveau pour postuler à un emploi mieux rémunéré et plus intéressant. Mais où sont passées les associations féministes ? 

Elles font de la grammaire. 




4 commentaires:

  1. En quoi cette revendication grammaticale pose-t-elle problème ? Est-il inconcevable de demander la suppression du terme "mademoiselle" dans les formulaires administratifs tout en militant pour plus l'égalité salariale... ?
    quant à votre avant-dernier paragraphe, il semble s'acharner à lier fortement inégalités de genre avec immigration et communautarisme... un hasard ?

    RépondreSupprimer
  2. Tout à fait d'accord avec le commentaire précédent: en quoi est-ce incompatible???!!
    Et il existe bien évidemment des associations féministes qui luttent contre l'excision, ou les inégalités salariales, c'est juste qu'elles bénéficient de moins de visibilité!
    Il a justement fallu qu'elles s'en prennent aux formulaires administratifs (qui concernent tout le monde et ont donc plus de portée) pour que les féministes se fassent entendre..et vous aussi vous avez joué le jeu: il aura fallu qu'on touche à la grammaire pour que vous vous révoltiez contre les autres discriminations, plus graves...

    RépondreSupprimer
  3. Ce n'est pas que ce soit incompatible, c'est que cela distrait l'attention de l'opinion des vrais combats.

    RépondreSupprimer
  4. Je rajouterais même que cela décrédibilise le combat féministe! Ce n'est peut être pas incompatible, mais cela ne devrait pas être un cheval de bataille. Aujourd'hui, les féministes sont raillées à cause de combats grammaticaux, qui font perdre aux vraies causes leurs assises auprès de l'opinion publique! Qui n'a jamais entendu des propos machistes tels que "ah les femmes, elles sont bien trop occupées à ce qu'on les appelle madame!".
    Comme dans tous les discours, l'extrême est dangereux!

    RépondreSupprimer