« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 6 novembre 2012

L'Eglise et les libertés publiques, ou l'art de fulminer des bulles

L'Eglise catholique participe désormais activement au mouvement d'opposition au mariage pour tous. Au mois d'août, Monseigneur Barbarin, archevêque de Lyon, avait profité de l'Assomption pour affirmer, dans une interview, qu'"un parlement, ce n'est pas Dieu le Père". Son propos était alors apparu comme une prise de position personnelle. Mais voilà qu'aujourd'hui, Monseigneur Vingt-Trois, Président de la Conférence des évêques de France, qualifie le mariage d'un couple homosexuel de "supercherie", et appelle les Catholiques à se mobiliser contre la loi. Il ne s'agit plus d'un point de vue individuel, mais d'une démarche institutionnelle. En bref, l'Eglise part en croisade contre ce qu'il est désormais convenu d'appeler "le mariage pour tous". 

Le projet de loi qui devrait être adopté le 7 novembre 2012 en Conseil des ministres ne porte aucune atteinte à la liberté religieuse, dès lors qu'il ne porte que sur le mariage civil. La foi de chacun est respectée, la pratique religieuse n'est pas menacée. Rien n'interdira aux prêtres de continuer à célébrer des mariages religieux, et ils pourront en exclure les homosexuels comme ils en excluent aujourd'hui les conjoints divorcés. Les voies de la charité chrétienne sont impénétrables.

Cet interventionnisme de l'Eglise ne doit pas surprendre, si l'on considère la tradition de tolérance et d'ouverture qui est la sienne dans le domaine des droits de l'homme. N'a t elle pas toujours été à la pointe du combat dans ce domaine ? Qu'on en juge par quelques exemples.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Prenons la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée par l'Assemblée Constituante le 26 août 1789. Pour l'Eglise de l'époque, il s'agit de substituer les droits de l'homme aux devoirs envers Dieu, de substituer aussi la souveraineté nationale au règne d'un roi thaumaturge. Le pape Pie VI fulmine une bulle, ou plutôt l'Encyclique Adeo Nota de 1791. Elle qualifie la liberté et l'égalité de "droits monstrueux, si contraires à la religion et à la société". Dira-t-on que c'est une réaction d'humeur après la constitution civile du Clergé ? Certainement pas, car l'Encyclique de Léon XIII Diuturnum Illud , publiée presque un siècle plus tard, en 1881 condamne de nouveau les droits de l'homme, dont elle discerne l'origine dans la Réforme : "C'est de cette hérésie que naquirent au siècle dernier la fausse philosophie et ce que l'on appelle le droit moderne, la souveraineté du peuple, et cette licence sans frein en dehors de laquelle beaucoup ne savent plus voir de vraie liberté". En clair, les droits de l'homme, c'est la faute aux Protestants.

La liberté de la presse

L'Eglise serait-elle plus tolérante à l'égard des libertés de l'homme en société, par exemple la liberté de la presse ? Après la Révolution de 1830, largement suscitée par la suspension de cette liberté, l'Eglise s'est penchée gravement sur la question. Dans une encyclique Mirari Vos du 15 août 1832, le Pape Grégoire XVI considère que le libéralisme est à l'origine des maux de l'Eglise, position qui révèle une large ouverture d'esprit. Quant à la malheureuse liberté de presse, elle est qualifiée de "liberté la plus funeste, liberté exécrable, pour laquelle on n'aura jamais assez d'horreur". Inutile d'ajouter qu'il faut aussi proscrire les " mauvais livres". Dès 1766, dans une analyse très personnelle de la philosophie des Lumières, Clément XIII publiait une lettre encyclique, affirmant qu'"il faut combattre avec courage (...) et exterminer de toutes ses forces le fléau de tant de livres funestes ; jamais on ne fera disparaître la matière de l'erreur, si les criminels éléments de la corruption ne périssent consumés par les flammes". Cette fois, c'est l'autodafé qui est légitimé, dès lors que la circulation des idées est, en soi, une hérésie.

Pedro Berruguete. Scène de la vie de Saint Dominique : autodafe de livres hérétiques.
circa 1480


Le Syllabus, résumé des positions de l'Eglise

D'une façon générale, les positions de l'Eglise du XIXè siècle sont parfaitement résumées dans le célèbre Syllabus de 1864, publié par Pie IX, et dont on doit conseiller la lecture à tous les amis de la liberté. L'objet du texte est de dresser la liste "des principales erreurs de notre temps". Parmi celles-ci figurent évidemment des idéologies comme le socialisme ou le communisme, mais aussi le fait de refuser la soumission des lois civiles à l'autorité ecclésiastique, le refus du catholicisme comme religion d'Etat et, bien entendu, le refus d'admettre la supériorité du Pape sur l'Eglise nationale. Le Syllabus est donc, avant tout, l'affirmation de la doctrine ultramontaine.

Bien sûr, on objectera que ces exemples sont anciens, et que l'Eglise d'aujourd'hui a évolué vers davantage de libéralisme. N'a-t-elle pas fini par accepter la notion de droits de l'homme en 1963, avec l'encyclique "Pacem in Terris" de Jean XXIII qui se réfère à la Déclaration universelle des droits de l'homme ? La notion de "droits de l'homme" a donc mis à peine deux siècles à s'implanter dans l'Eglise catholique.

La famille chrétienne

Aujourd'hui, les combats se sont déplacés vers les droits de la vie privée, car l'Eglise s'intéresse, avant tout, à notre vie conjugale, voire à notre vie sexuelle. Nul n'ignore que le divorce n'est toujours pas admis, dès lors que le mariage est un sacrement, un lien indissoluble qu'aucune loi civile ne peut dénouer. L'encyclique de Pie XI Casti Connubii, de 1930, affirme ainsi que "l'inébranlable indissolubilité conjugale est une source abondante d'honnêteté et de morale" reprenant sur ce point la doctrine énoncée par le Syllabus. Rien n'a changé depuis cette date, et l'exhortation apostolique de Jean Paul II, publiée en 1981, sans réellement excommunier les divorcés remariés, leur refuse toujours l'Eucharistie. Ils ne sont pas seuls dans leur cas, puisque les couples vivant sous le régime du PACS encourent la même sanction. Vivre dans le PACS, c'est vivre dans le péché.

On pourrait multiplier les exemples. Dans le domaine de la contraception, le cathéchisme de 2005 qui trouve son origine dans l'Encyclique Humanae Vitae de Paul VI (1968) n'autorise que "la continence périodique, les méthodes de régulation naturelles des naissances fondées sur l'auto-observation et le recours aux périodes infécondes". Seules ces méthodes, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles sont modérément fiables, sont conformes "aux critères objectifs de la moralité". La pilule est donc immorale. Il en est de même de l'IVG, dont l'Encyclique Evangelium Vitae, publiée par Jean Paul II en 1995, rappelle la condamnation. A ses yeux, le drame réside dans le fait que "ces attentats concernant la vie naissante (...) tendent à perdre, dans la conscience collective, leur caractère de "crime" et à prendre paradoxalement celui de "droit". Pour l'Eglise, l'avortement demeure un crime, et on se souvient qu'en 2009, très récemment, l'archevêque de Recife (Brésil) a excommunié la mère d'une fillette de neuf ans qui avait subi une IVG alors qu'elle était enceinte, à la suite d'un viol.

Le combat engagé par l'Eglise contre le mariage homosexuel n'est donc que le dernier épisode d'une lutte  retardataire permanente. Après s'être opposée aux droits de l'homme, à la République, à la contraception, à l'IVG, au divorce et au PACS, l'Eglise s'oppose donc, logiquement, au mariage des homosexuels.  Et tant pis pour les catholiques homosexuels, car il y en a de nombreux, qui doivent se sentir bien isolés dans leur foi, à l'écart de la communauté. Tant pis aussi pour les croyants, membres du Clergé ou laïcs, qui veulent vivre leur religion autrement, dans la tolérance et l'ouverture aux autres. En tout cas, on peut au moins louer l'institution religieuse qui sait faire preuve de rigueur et de persévérance. L'Eglise devrait pourtant se souvenir du mot de Victor Hugo : "La réaction est le nom politique de l'agonie".


7 commentaires:

  1. C'est dommage que votre billet ne soit qu'un préjugé sur l'arrièrisme de l'Eglise, du coup vous oubliez d'apporter des arguments en faveur du projet de loi actuel à part sa modernité.
    L'Eglise mais pas seulement (également l'ensemble des religions mais aussi des personnalités et organisations "civiles"), essayent de porter le débat sur les enfants qui semblent être les oubliés de la quête des adultes à de nouveaux droits.

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    1. Le propos du billet était surtout, apparemment, de faire quelques rappels historiques tout-à-fait opportuns...

      On aurait pû en faire d'autres : "L'index Librorum Prohibitorum" par exemple (seulement abrogé en 1961 !) où figurent quasiment tous les grands auteurs de la littérature française et étrangère : Montaigne; Diderot, voltaire, Descartes, Balzac, Victor Hugo, Kant, Malebranche, Lammenais et même Pierre Larousse ! (Par contre, Hitler a été oublié...Staline aussi d'ailleurs)

      La "charge" comme vous dites est amplement justifiée.

      Lors de la réforme du mariage en Belgique, il me semble que l'église catholique n'a pas vraiment protesté. Il est vrai qu'elle était empêtrée dans des affaires de pédophilie (même un évêque ! http://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Vangheluwe ). Sa crédibilité était alors plus qu'entamée...

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  2. Bonjour,
    Je ne suis pas du tout catholique mais votre charge me semble effectivement gratuite.
    Tant que les catholiques ne cherchent pas à imposer par la force leurs convictions qu'ils fassent ce qu'ils veulent ! Mes convictions m'interdisent de manger des pommes entre 2h et 3h du matin, en suis je pour autant un moins bon citoyen ?
    Quand à vouloir influencer la vie civile, n'est ce pas justement le droit de tout citoyen ? Ne puis je chercher à promouvoir un étiquetage des pommes recommandant d'éviter leur consommation noctambule ?

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  3. Vous semblez ne dénoncer que la prise de position de l'Eglise chrétienne. Le grand rabbin de France n'a-t-il pas qualifié le "mariage pour tous" de "cheval de Troie contre l'hétérosexualité"? Le CFCM ne s'est-il pas opposé à la reconnaissance d'une forme de mariage homosexuel?

    Comme toujours en France, notre élite bien-pensante adopte la politique du deux poids-deux mesures..

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  4. Un commentaire du Nouvel Elan

    Gnouf ! Je Me porte bien. Mieux que Godie si J'en juge par les errements de ses suppôts. Puissent-ils au moins écrire en français ! "arrièrisme" ?? Sans doute un néologisme, uhuhuhuhuhuhuhu...u. "la quête des adultes à de nouveaux droits" ??? Kekseksa ? Une conception moderniste de la grammaire, probablement. Puissent-ils en outre ne pas travestir le sens des mots : "préjugé" ?? Les citations réunies par la Meuf sont-elles inexactes ? Quand les textes en question ont-il été abrogés ? Quand on pense juste, on n’écrit pas faux. Meuf, l’Elan approuve ton dit. Alors, heureuse ?

    L'Elan est tolérant, ouvert et bon, nom d'une Raquette ! Il apprécie même les chants des moines au chœur de leurs couvents grégoriens, leur austérité, leur ferveur, leur vertu, et la vastité sombre des cathédrales gothiques, aimée par Son vieux pote Montaigne. La musique religieuse, fusionnelle avec Charpentier, lumineuse avec Fauré, éclatante avec Monteverdi lui donne plutôt une bonne opinion de Godie, si répréhensible par ailleurs.

    Et Je ne parle même pas des Annonciations, pleines de fraîcheur et d'espérance, quand Marie a cette ondulation virginale qui exprime autant de surprise que d’attention, d'intérêt que de crainte, d'attirance que de rejet. Procréation divinement assistée ! Cette innocence sans pareille croit que l'on fait les enfants par l'oreille. Bref, le meilleur de Godie, grand maître de l’imaginaire, c'est d'être un haaartiste. Qualis artifex !

    Mais pour la vie civile, cétotchose. Dekoijmemêle ? Gardez, gardez vos bénédictions, vos goupillons, vos confessions, vos excommunications, vos mitres, vos baptistères et votre encens pour vos fidèles, vous qui avez renoncé au sexe, au mariage, à la paternité, à la maternité. L’Elan vous adresse aussi une prière, plutôt une requête (comme d’abus – intelligenti pauca !), et s’il le faut un mandement : n’aimez pas de trop près les enfants, dont vous dites tant vous soucier, et balayez devant votre porte. Ne vous souciez pas de celles et ceux d’autrui, ne mélangez pas Godie à vos préjugés. Causez nous de la vie éternelle et des jouissances du paradis, pour voir : c’est votre office.

    Oooooh, l'Elan est prêt à donner des leçons à ce Quam fecisti. La première pourrait commencer par ceci que « l'Elan est, le non Elan n'est pas ». La seconde développerait ce dictum que « Par cela même qu'Il est, l'Elan est toujours tout ce qu'Il doit être ». La troisième l'observation que « Il est grand le mystère de l'Elan ». Konsledise !

    Le Nouvel Elan

    Vous voulez lire un autre commentaire du Nouvel Elan ? : http://libertescheries.blogspot.fr/2012/09/qpc-les-taureaux-victimes-dune-loi.html

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  5. L'ELan habite le Mans ! Ses collegues de nanterre le saluent ! A.s.

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  6. Merci, cher Nouvel Elan, vos propos donne de la perspective à ce post...qui au passage, et je m'en étonne, n'a pas parlé de l'inquisition ni des croisades.
    Toutes ces réactions me font surtout penser qu'au fond, l'Eglise n'a peut-être pas complètement tord ! Par chance, on ne lui a pas encore retiré le droit de d'exprimer...

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