« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 10 octobre 2013

Communication audiovisuelle et petites promotions entre amis

Dans une décision du 9 octobre 2013, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, met en demeure France Télévisions de cesser des pratiques que l'on peut qualifier de publicités clandestines. Le téléspectateur un peu attentif ne peut manquer d'observer ce type de promotion réalisée au nom des liens amicaux, voire familiaux, dès lors que, dans notre société, le talent du journaliste comme celui du comédien devient de plus en plus héréditaire... 

Le service public comme société de connivence

C'est ainsi que l'ouvrage sur "les 100 histoires de légende du Tour de France" a bénéficié d'une promotion particulièrement importante sur France 2, bien entendu sans aucun rapport avait le fait qu'il ait été écrit par Gérard Holtz, journaliste sportif sur cette même chaîne, et son fils Julien Holtz. Le 30 juin 2013, le livre a été évoqué lors du journal de 13 h, de manière très laudative, avec présentation de sa couverture et de son contenu. Le 14 juillet 2013, l'auteur a pu le présenter longuement lors de l'arrivée du l'étape du Tour de France, et l'ouvrage a été plusieurs fois montré à l'écran, avec indications du prix et de l'éditeur.

Laurent Ruquier, animateur sur France 2 de l'émission "On n'est pas couché" a, quant à lui, été également invité au journal télévisé de 20 h, présenté par Laurent Delahousse le 7 juillet 2013. Il a évoqué sa carrière et fait la promotion d'un ouvrage sans doute inoubliable : "On préfère en rire". 

Certains considèrent que ce type de promotions de complaisance, de congratulations réciproques, de "renvois d'ascenseur" entre gens du même monde, est inévitable dans un milieu dominé par des liens personnels et qui ne se préoccupe guère des attentes culturelles du téléspectateur. Lorsque ce dernier est las d'admirer cette société d'admiration mutuelle, n'a t il pas toujours la solution de saisir la zapette  d'une main vengeresse et de changer de chaîne ?

Cette société de connivence se heurte cependant à quelques obstacles juridiques, et le CSA insiste sur l'un d'entre eux : la réglementation de la publicité clandestine.



Définition et prohibition de la publicité clandestine

En matière de communication audiovisuelle, la publicité clandestine est définie par le décret du 27 mars 1992 comme "la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de service dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire". Elle est donc prohibée, comme en droit communautaire, depuis la directive 97/36 du 30 juin 1997. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a d'ailleurs considéré, dans une décision du 9 juin 2011 Alter Channel,  qu'une publicité clandestine n'est pas nécessairement payante, ce qui fait évidemment entrer dans cette catégorie les pratiques de connivence telles qu'elles ont été pratiquées sur France 2.

Le pouvoir de sanction du CSA

En droit français, la lutte contre la publicité clandestine est de la compétence du CSA. Sur le fondement de la loi du 30 septembre 1986, celui-ci a pour mission de rappeler aux opérateurs les règles auxquelles ils sont tenus. Ce rappel est d'autant plus efficace qu'il s'accompagne d'une menace de sanction. La mise en demeure infligée à France Télévisions n'est certes pas dramatique pour l'entreprise de communication. Il s'agit concrètement d'une sorte d'avertissement, sans conséquence immédiate autre que la publicité apportée à ce comportement illicite. En revanche, en cas de récidive, le CSA serait fondé à prendre une sanction administrative. Et l'entreprise n'ignore sans doute pas que l'autorité indépendante dispose d'un large éventail de sanctions, allant de la suspension d'un programme à la résiliation unilatérale de la convention qui permet à France Télévision d'exercer son activité. La plus probable dans ce type d'affaire demeure cependant la sanction pécuniaire qui peut être très élevée. 

Dès lors que le CSA prend une sanction administrative, c'est évidemment le juge administratif qui est chargé de son contrôle. Le Conseil d'Etat a précisément eu à connaître d'une sanction prononcée pour publicité clandestine. En l'espèce, la chaîne M6 avait présenté avec complaisance et à plusieurs reprises la couverture du magazine de presse "Capital" alors que son rédacteur en chef était l'invité de l'émission homonyme. De la même manière, une série de neuf émissions, intitulées "Turbo" ont été diffusées, durant lesquelles un journaliste utilisait systématiquement une automobile "Renault Espace" dont il faisait un éloge appuyé. Dans un arrêt M6 du 18 mai 1998, le Conseil d'Etat a admis la légalité de la sanction pécuniaire et considéré que celle-ci était proportionnée à la gravité des manquements constatés. En effet, le juge avait tout simplement choisi d'en calculer le montant à partir du coût de la publicité aux heures des émissions concernées, aboutissant ainsi à une sanction de 780 000 F.

Le droit positif a donc les moyens de lutter contre ces petits arrangements entre amis. On observe cependant que les sanctions sont rares et que la publicité clandestine est malheureusement très fréquente. Les animateurs n'hésitent pas à rendre ces petits services à leurs amis, aux amis de leurs amis, voire à leur famille. Et si ces pratiques sont illicites, la plupart de ceux qui les mettent en oeuvre en ont à peine conscience. Cette société de connivence a pénétré en profondeur dans le monde de la communication audiovisuelle, au point qu'elle apparaît désormais comme naturelle. Sur ce point, le pouvoir de sanction du CSA  présente l'avantage de jouer un rôle pédagogique en rappelant aux journalistes les règles élémentaires de la déontologie. Les téléspectateurs peuvent espérer, pour le repos de leurs yeux et de leurs oreilles, une plus grande attention de sa part.


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