« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 15 novembre 2016

La loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, sans le secret des sources

La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias se présente comme un texte ambitieux. En témoigne son titre qui donne un peu le sentiment que la liberté d'expression dans les médias, était gravement menacée avant l'adoption de ce texte. En réalité, l'apport du texte est plus modeste que son intitulé et il comporte des dispositions d'une clarté et d'un intérêt inégaux.

Les contrôles


La loi confère au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le soin de garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes », principes qui figureront dans les conventions conclues entre l'autorité indépendante et les opérateurs. Le texte demeure cependant peu clair sur les compétences effectives du CSA. S'agira-t-il de juger de la ligne éditoriale des différents médias ? Pourra-t-il effectuer des enquêtes portant sur le fonctionnement des médias ainsi contrôlés ? A ces questions, le législateur n'apporte aucune réponse.

La même incertitude pèse sur la création, désormais imposée à chaque radio généraliste à vocation nationale et à chaque télévision diffusant des programmes politiques, d'un comité "relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes". La formule laisse songeur. Pourquoi le législateur juge-t-il nécessaire la création d'un comité pour assurer l'honnêteté des médias, alors que ces derniers utilisent la déontologie des journalistes comme leitmotiv pour affirmer leur honnêteté ? Cette déontologie serait-elle finalement insuffisante ? Quoi qu'il en soit, si ces comités sont composés de personnalités extérieures, leur rôle se borne à transmettre d'éventuels manquements au CSA et à effectuer un bilan annuel. Ils ne disposent donc d'aucun moyen d'action qui leur soit propre. L'impact de cette innovation risque donc d'être fort limité.

La transparence financière


De nouvelles contraintes de transparence imposent aux entreprises du secteur de rendre publiques chaque année les informations relatives à la composition de leur capital. Le non-respect de cette obligation est susceptible d'entrainer la suspension des aides publiques dont elles bénéficient. Si elles n'étaient pas directement mises à la disposition du public, ces informations étaient cependant déjà accessibles. En contrepartie de cette contrainte, finalement légère, l'avantage fiscal accordé aux personnes investissant dans les entreprises de presse est désormais étendu à celles investissant dans des entreprises "consacrées pour une large part à l'information politique et générale".

Beatles. Do want to know a secret ? 1963

Le secret des sources


L'essentiel de la loi réside cependant dans ce qui n'y figure pas, ou plus dans ce qui n'y figure plus. En effet, la loi du 14 novembre 2016 a été publiée, amputée de son article 4 relatif au secret des sources des journalistes, annulé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 novembre 2016

Le secret des sources a été introduit dans la loi par voie d'un amendement gouvernemental, ce qui n'est d'ailleurs guère surprenant dans la mesure où le texte est issu d'une proposition de loi présentée par deux députés socialistes, Patrick Bloche et Bruno Le Roux. Ce secret des sources est alors perçu par les auteurs du texte comme un élément du "droit d'opposition" dont sont titulaires les journalistes et qui les autorise aussi à refuser toute pression, refuser de signer un texte ou de participer à une émission modifiés à leur insu ou contre leur volonté, ou encore, de manière plus générale de refuser tout acte contraire à la déontologie.

Le caractère quelque peu disparate des prérogatives ainsi intégrées au droit d'opposition apparaît clairement au regard de ses garanties. Car si le droit de refuser une pression quelconque est sanctionné par le droit du travail, le secret des sources, quant à lui, relève du droit pénal.

Les insuffisances de la loi Dati


Rappelons que le secret des sources existe dans notre système juridique depuis la loi Dati du 4 janvier 2010 qui était considérée comme établissant une protection insuffisante. Elle se borne à affirmer que le "secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public". Elle prévoit en outre la possibilité, pour les pouvoirs publics, de porter atteinte à ce secret "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi". La formule est directement inspirée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, jurisprudence inaugurée par l'arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996.

Il n'en demeure pas moins que la loi Dati n'est pas parvenue à empêcher d'empêcher l'espionnage des communications des journalistes par les services de renseignement lors de l'affaire Woerth-Bettencourt. La jurisprudence s'est pourtant vaillamment efforcée de lui donner un contenu, donnant une définition étroite de l'impératif prépondérant d'intérêt public susceptible de justifier une atteinte au secret des sources. Dans une décision du 25 février 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation reproche ainsi à la chambre de l'instruction de n'avoir pas suffisamment démontré que des investigations et perquisitions effectuées chez un journaliste dans le seul but de démontrer une violation du secret professionnel relevaient d'un tel impératif.

Les amendements introduits dans la loi du 14 novembre 2016 n'amélioraient pas sensiblement le droit positif et la simplification annoncée était purement cosmétique.

Les atteintes licites au secret des sources


En 2016, le législateur a renoncé à la notion d'impératif prépondérant d'intérêt public, largement contestée par les journalistes. Il a préféré énumérer les infractions au nom desquelles il est possible de porter atteinte au secret des sources. En matière criminelle, l'atteinte pouvait ainsi être justifiée par le double intérêt de la prévention et de la répression de l'infraction. En matière délictuelle en revanche, une atteinte au secret des sources ne pouvait reposer que sur la nécessité de prévenir l'infraction. Il était donc interdit de porter atteinte à ce secret dans le but d'assurer la répression d'un délit, quelle que soit sa gravité. Pour ne prendre qu'un exemple, la loi interdisait de porter atteinte au secret des sources dans le but de réprimer des faits constitutifs d'une association de malfaiteurs en vue d'actes de terrorisme.

Pour le Conseil, le législateur n'a pas assuré "une conciliation équilibrée entre la liberté d'expression et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d'infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle".

L'immunité pénale


Le contrôle de proportionnalité est d'une intensité identique lorsque le Conseil examine les personnes bénéficiant de l'immunité pénale au nom du secret des sources. Dans ce domaine, le législateur affirmait, de manière quelque peu surprenante, que le secret ne concernait pas seulement les journalistes mais aussi "les collaborateurs de la rédaction", notion faisant l'objet d'une définition extrêmement large. Etaient ainsi titulaire du secret des sources "toutes les personnes qui, par leur fonction au sein de la rédaction (...) sont amenées à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source (...)". La personne chargée du standard téléphonique se trouvait protégée par le secret des sources, dès lors qu'elle avait mis en communication une personne identifiable avec un journaliste. Il en était de même du pigiste, voire du stagiaire s'il avait entendu parler d'investigations en cours en distribuant les cafés. C'est donc un principe d'irresponsabilité générale des employés de l'entreprise de presse ou de médias audiovisuels qui était posé.

Il n'est pas surprenant que le Conseil ait estimé, une nouvelle fois, que la conciliation était déséquilibrée entre la liberté d'expression et le secret des correspondances d'un côté, et la recherche des auteurs d'infractions ainsi que les exigences des intérêts de la Nation de l'autre côté.

De toute évidence, il n'a pas échappé au Conseil que ces dispositions étaient le résultat d'un lobbying efficace des différents syndicats et associations chargés de défendre les intérêts des journalistes. L'annulation ainsi prononcée impose désormais une nouvelle intervention du législateur et sans doute une plus grande modération des lobbys lors des futurs débats. Tous sont clairement avertis que le Conseil exercera sur le futur texte un contrôle de proportionnalité exigeant. N'a t il pas rappelé que la protection des sources des journalistes n'est pas un droit de valeur constitutionnelle, principe qu'il avait déjà affirmé dans sa décision QPC du 24 juillet 2015, mais que le législateur avait feint d'oublier ? Il serait sans doute utile de préciser, dans les débats à venir, que le secret des sources est indispensable, précisément parce qu'il n'est pas une prérogative des journalistes mais un instrument de protection d'un tiers, cette "source" dont finalement on parle bien peu.

Sur  le secret des sources : Chap 9, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.




1 commentaire:

  1. Comme toujours, vous fournissez un éclairage intéressant sur une problématique traitée de façon anecdotique, caricaturale si ce n'est manichéenne (les bons et les mauvais) par les médias. Deux maux français y sont parfaitement décrits.

    - Le culte de la norme

    Pour répondre à un problème, c'est toujours ce train de dispositions législatives empilées au fil des années et des mois, redondantes, parfois surréalistes. Redondance, intérêt marginal, fausse transparence, contrôle excessif et souvent inefficace : tel est le dénominateur commun à toutes ces approches. Au final, le problème traité demeure entier.

    - Le culte de l'excès

    Traiter efficacement un problème, c'est d'abord et avant tout en prendre la juste mesure. Porter le bon diagnostic pour y apporter le meilleur remède. Or, nous n'avons ni l'un, ni l'autre. Le plus souvent, nous frisons l'absurde. De quoi parle-t-on ? Aujourd'hui, un journaliste est mieux protégé qu'un fonctionnaire des services de renseignement. Il peut, presque en toute impunité, diffuser en direct des procès-verbaux d'audition de témoins par un juge d'instruction (couverts par le secret de l'instruction ?), juger médiatiquement un citoyen avant même tout jugement judiciaire au mépris de la présomption d'innocence sans en subir les conséquences. Un site d'information s'est transformé au fil des ans en site de dénonciation en ligne. Vichy a encore de beaux restes. Est-ce acceptable ? Est-ce admissible ?

    Secret des sources, oui mais pas à n'importe quel prix et surtout pas à celui de la défense des intérêts supérieurs de la Nation et des droits fondamentaux des citoyens !

    "Toutes les solutions sont possibles dans une époque diaboliquement confuse" (Pablo Neruda).

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