« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 13 février 2018

Absence d'Accord-Déon : Une position sans concession de la mairie de Paris

Les Académiciens ne sont pas si immortels que cela. Michel Déon en a apporté une nouvelle preuve en nous quittant à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans, le 28 décembre 2017. Il est décédé à Galway, dans cette Irlande du Taxi mauve où il résidait une partie de l'année. Conformément à sa volonté, il a été incinéré sur place et sa famille a ramené ses cendres en France. Elle a ensuite souhaité qu'il puisse bénéficier d'une sépulture dans un cimetière parisien, ville dans laquelle réside sa fille.  

C'était sans compter l'opposition farouche de la mairie de Paris. Rien n'y a fait, ni les propos de Bruno Julliard qui a déclaré vouloir "faire une exception", ni une démarche exceptionnelle de l'Académie française demandant une dérogation. Pénélope Komitès, adjointe en charge des affaires funéraires, a affirmé que la mairie n'avait "juridiquement pas le droit de transiger avec les règles fixées par le code général des collectivités territoriales". 

Le problème, c'est que c'est faux. Le droit positif est plus tolérant que la mairie de Paris. S'il est vrai qu'il pose des conditions à l'inhumation dans une commune, celles-ci ne lient pas réellement l'élu qui peut finalement user de son pouvoir discrétionnaire pour autoriser une dérogation. 

Une police spéciale des funérailles


Le droit funéraire demeure, pour l'essentiel, dominé par la loi du 15 novembre 1887, aujourd'hui codifiée dans le code général des collectivités territoriales (cgct). Plus récemment, la loi du 19 décembre 2008 est venue préciser le rôle des entreprises de pompes funèbres et les dispositions applicables en matière de crémation. Il ressort clairement de cet ensemble législatif qu'il existe une police des funérailles et de la sépulture, police exercée par le maire et qu'il peut déléguer à l'un de ses adjoints (Par exemple : TA Marseille, 6 juillet 2005, Association ADIMAD). C'est ce qu'a fait madame Hidalgo qui a délégué les questions funéraires à madame Komitès.

Cette police prend la forme d'une autorisation administrative spéciale délivrée par le maire et communément appelée "permis d'inhumer". Il est régi par l'article 2223-3 cgct, issu d'un décret du 27 avril 1889. Le texte affirme que la sépulture dans le cimetière de la commune est "due" aux personnes décédées sur son territoire, à celles domiciliées sur son territoire quand bien même elles seraient décédées ailleurs, à celles qui y ont un caveau de famille, et enfin aux Français expatriés inscrits sur les listes électorales de la commune.
L'emploi du verbe "devoir" indique que le maire n'est pas dans une situation de pouvoir discrétionnaire mais de compétence liée. La mairie de Paris nous affirme donc que si le défunt n'entre dans aucune de ces catégories, elle est tenue de refuser le permis d'inhumer.

La ballade des cimetières. Georges Brassens. Live 1961

Compétence liée et autorisation


Elle se trompe, car la compétence liée doit se lire en sens inverse : si le défunt entre dans l'une de ces catégories, la mairie est tenue d'autoriser l'inhumation. Un éventuel refus, illégal, engage d'ailleurs sa responsabilité (CAA Marseille, 9 février 2004). La seule exception à ce principe a été formulée dans la décision du Conseil d'Etat du 16 décembre 2016 refusant le renvoi d'une QPC portant précisément sur l'article L 2223-3 cgcl. Dans le cas du refus d'inhumation opposé par le maire de Mantes-la-Jolie à la famille de Larossi Abballa, terroriste ayant assassiné le couple de policiers de Magnanville, le Conseil d'Etat a considéré que la police spéciale des cimetières devait se concilier avec la police générale de l'ordre public. Autrement dit, il demeure possible de refuser l'inhumation, si le maire peut démontrer l'existence d'un risque de trouble à l'ordre public qu'il ne serait pas en mesure de gérer. Dans le cas de Larossi Abballa, la question s'est finalement réglée par un transfert du corps au Maroc, où il a été finalement inhumé.

La compétence liée ne contraint donc pas la commune à refuser le permis d'inhumer si le défunt n'entre dans aucune des catégories énumérées dans le code général des collectivités locales. Elle l'autorise seulement à prononcer ce refus, ce qui est bien différent. En témoigne la formulation employée par le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 novembre 1992. Il affirme que "la commune (...) n'avait aucune obligation d'autoriser l'inhumation de M. Sylvain X. dans le cimetière communal, dès lors que celui-ci n’y possédait pas de sépulture de famille, qu’il n’était pas décédé sur le territoire de la commune et n’y était pas domicilié au moment de son décès ». Le maire "n'avait aucune obligation d'autoriser", ce qui signifie qu'il n'était pas tenu de le faire, mais qu'il aurait pu le faire, en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Le site Vie Publique, "site officiel de l'administration française" affirme clairement que "l'inhumation est aussi possible dans une autre commune, mais le maire peut la refuser". Il est un peu fâcheux de constater que l'adjointe aux affaires funéraires connaisse aussi mal le droit funéraire.

L'égalité devant les discriminations


Les contentieux dans ce domaine ne sont pas fréquents, soit parce que les Français se font inhumer dans leur commune, soit parce que les élus sont moins intransigeants que madame Hidalgo. Rien ne lui interdisait d'autoriser finalement l'inhumation de Michel Déon dans un cimetière parisien.

A l'appui de son refus, la mairie de Paris invoque une atteinte au principe d'égalité. On comprend que le fait que Michel Déon ait été un écrivain à succès, membre de l'Académie, et revendiquant des convictions monarchistes, ne joue pas vraiment en sa faveur. Souvenons-nous cependant du cas de Maria-Francesca, ce bébé rom décédé à l'âge de trois mois, et que le maire de Champlan refusait d'inhumer dans le cimetière de sa commune. Comme Michel Déon, elle n'entrait dans aucune des catégories prévues par le code des collectivités territoriales. A l'époque, le refus du maire avait fait grand bruit, au point que le Défenseur des droits s'était saisi du dossier et avait déclaré la décision "illégale et discriminatoire". L'égalité invoquée par la mairie de Paris serait-elle, in fine, une égalité devant les discriminations ? Elle devrait plutôt réfléchir à l'idée que l'égalité devant la mort est bien réelle, car, comme le disait allègrement Henri Rochefort : "Si haut qu'on monte, on finit toujours par des cendres". .







3 commentaires:

  1. Il me semble que Michel Déon soit décédé 28 décembre 2016 et non 2017.

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  2. Votre position semble pertinente mais serait parfaite si on avait une décision du Conseil d’État validant une sépulture "dérogatoire" contestée par un tiers.

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  3. C'est surtout l'illustration que le principe d'égalité est asymétrique en droit français.

    On peut attaquer et obtenir, sans de grosses difficultés, l'annulation les décisions qui le violent à votre détriment lorsque le comportement est normé...

    On ne peut attaquer et obtenir une égalité de traitement si tout le monde à des passes droits (donc des décisions illégales) ou des faveurs (ie des décisions légales)... sauf vous !

    Ce point est jugé n fois dans des histoires de permis de construire, de places en crèches, en HLM, d'autorisations d'inscriptions dérogatoires dans une université, de décorations ou, dans des temps plus anciens: de dérogations à la carte scolaire, de dispense de service national, etc.

    Bref ce point faible juridique est le terreau fertile du clientélisme politique ! Le Conseil d'Etat en est parfaitement conscient est c'est par choix volontaire que ce point est maintenu.

    Seule limite: le droit communautaire (dixit la CJUE) mais le Conseil d'Etat a une lecture fort accommodante de cette exception :)

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